Regarde cette fille dans le coin de la pièce.

Oui, celle qui a un livre à la main, et l'air complètement bouleversée en le lisant. Observe bien son visage, ses grands yeux rouges pleins de larmes. Cette expression triste vient du livre qu'elle lit, ne cherche pas plus loin. Sa passion pour la lecture est compréhensible, ce fut pendant longtemps le seul moyen pour elle d'éprouver de véritables sentiments. Quand elle était jeune, elle devait tout le temps se contenir, refouler sa peine, sa tristesse, et même sa joie ! Elle vivait donc tout ça par procuration, à travers tous les livres qu’elle trouvait. Oh oui, tu peux trouver ça triste. Mais ne va pas lui agiter ta pitié ni même ta compassion sous le nez. Elle déteste ça, et te renverrait sur les roses aussitôt fait. Elle a encore un peu de mal à parler ouvertement, même si elle essaye d’être la plus franche possible. Elle est si farouche, que si tu veux obtenir son amitié, il faudra que tu sois patient, persévèrent, et que tu ne te vexes pas d’éventuels éclats. Surtout, ne cherche pas à la brusquer et à lui arracher son passé par la force. Car s’il y a bien quelque chose qu’elle déteste, c’est la contrainte. Elle a toujours vécue enchaînée par des ordres et des contrats, comme une simple machine sans état d’âme. Maintenant, elle est très discrète, mais elle est très expansive avec ses amis.

Il faut également que tu saches quelques petites choses sans véritable importance à son sujet, pour que tu puisses essayer de la cerner. Par exemple, elle aime la nature, et sait s’y débrouiller parfaitement bien. Elle a un drôle de sens de l’orientation. Elle adore apprendre, mais elle est incapable de passer plus de trois heures d’affilées dans une salle de cours. Elle sait déchiffrer les expressions des gens, mais elle ne comprend pas vraiment ses propres sentiments. Elle déteste tout ce qui se rapporte à la couleur violette, de près ou de loin. Elle chante extrêmement bien, mais ne le fait que dans des « circonstances spéciales » ou pour des personnes qu’elle apprécie. Elle déteste la couleur de ses cheveux, mais ne s’est pas encore résolue à les teindre. En secret, elle rêve de savoir jouer du violoncelle, parce qu’elle a assisté à un concert qui l’a bouleversé il y a quelques années. En vérité, elle est gentille et aime bien aider les autres. Elle ne sait pas quelle attitude adopter lorsqu’elle rencontre quelqu’un qu’elle ne connait pas. Elle peut rester des heures à écouter une conversation sans jamais prendre la parole. Elle adore changer d’identité en se déguisant, art dans lequel elle excelle. Elle craint la solitude.

Bien, maintenant va-t-en avant qu’elle finisse son livre, ou tu vas le regretter.

Katsu Ame nait dans un quartier pauvre au Japon d’une mère prostituée, abandonnée dans un orphelinat quelques heures après sa naissance. On ne connait pas exactement sa date d’anniversaire, si ce n’est qu’elle est née en hiver. Baladée de famille d’accueil en famille d’accueil, elle développe l’étrange capacité de se fondre dans son environnement à l’âge de trois ans, rendant fous ses « parents ». Elle disparaît définitivement dans la nature à l’âge de neuf ans sur un coup de tête, lassée de cette existence chaotique, son cœur endurcit par le manque d’affection et les brimades dues à son apparence physique.

Ne sachant pas où aller, elle finit par s’installer dans la rue. Sa première nuit passée dans une ruelle sombre, à grelotter au milieu des rats et de la vermine crasseuse, scelle définitivement son cœur. Elle sait qu’elle ne peut pas retourner en arrière, et le futur promet de ne pas être tout rose. Elle n’a plus nulle part où aller. Désormais, elle s’appellera Nezumi, en hommage à ses premiers compagnons de fortune et à sa première nuit seule contre la rue. La rue, elle n’en sortira pas de sitôt. Obligée de voler pour se nourrir, elle ne s’abaissera jamais à mendier pour manger. Aidée par sa capacité qu’elle développe de plus en plus, elle se découvre également une passion pour le camouflage, et n’hésite pas à se déguiser lorsqu’elle est découverte. Après une année difficile rythmée par la peur et la misère, elle est repérée par le clan yakusa Kurokaze, qui voit en elle un bon moyen de se débarrasser de leurs ennemis. Quoi de plus discret qu’une fillette, de plus naturellement douée pour le camouflage ? On propose donc à Nezumi un contrat en or : elle travaille pour eux, et elle est nourrie, logée et payée. Elle accepte sans hésiter, et se fait tatouer un énorme lion noir crachant une tornade dans le dos, symbole du clan. D’abord affublée de petites missions sans grandes importances, pour la tester, on lui confie rapidement de plus grandes responsabilités.

Son efficacité redoutable et son souci de discrétion en fait un agent terrain hors pair. Elle effectue son travail sans état d’âme et n’hésite pas à se salir les mains, tel un automate destructeur, passant parfois des jours dans les bas-fonds, au milieu des ivrognes et de la vermine animale et humaine. Elle est détestée par à peu près tout le monde, qui lui envie les félicitations des plus hauts criminels de l’ombre. Le seul ami qu’elle se fait est un garçon âgé de quelques années de plus qu’elle, chargé des mêmes tâches qu’elle. Il lui arrive de travailler avec lui, lors des opérations demandant beaucoup de précaution. Il s’inquiète cependant pour elle, qu’il juge bien trop sensible pour pouvoir survivre éternellement dans ce milieu sanglant. Nezumi se moque de ses craintes.

Pourtant elle finit par comprendre, car toute cette violence s’accompagne de séquelles mentales, matérialisées par des périodes de dépression, où la jeune Nezumi ne peut plus rien avaler et passe parfois une semaine entière dans son lit à fixer le plafond. Ses crises se font de plus en plus fréquentes et longues, à tel point que le chef du clan, attristé mais pragmatique, décide de se débarrasser d’elle. Un agent, même excellent, ne sert plus à rien s’il ne travaille pas. Au beau milieu de la nuit, elle est attaquée par trois yakusas, masqués et vêtus de noir. Prise par surprise, elle est grièvement blessée, mais parvient à s’échapper grâce à son « don » d’invisibilité. Elle s’effondre dans la rue, mourante.

Lorsque qu’elle se réveille, elle est dans un lit inconnu, dans une pièce inconnue et entourée d’un homme et d’une femme inconnus. Ces derniers lui expliquent qu’ils l’ont trouvé sur un trottoir, à demi morte de froid et allégée d’un bon paquet de sang. Ils sont gentils, et à force de patience et d’attentions, ils parviennent à vaincre la carapace de la jeune fille, même s’ils ont vu sont tatouage et savent qui elle est. Après quelques mois, M. et Mme Kakuro se décident à adopter légalement Nezumi, désormais âgée de quatorze ans. Après une année passée chez eux à se remettre petit à petit de sa vie d’infortune et de massacres, elle se décide à quitter la maison accueillante des Kakuro, pour aller vivre dans une académie vantée par une drôle de brochure bleue, et qui est sensée accueillir des élèves « particuliers ».

Pourquoi pas ?