Ce matin, je me suis levée perturbée. Par un certain nombre de choses. Premièrement, j'ai mal dormi. Deuxièmement, je n'ai de nouveau rien pu avaler, et j'ai du partir le ventre vide. Et troisièmement, le retour à l'Académie est aussi éprouvant que ce que j'avais imaginé.
C'est dans cet état d'esprit fâcheux que je erre actuellement dans le vaste labyrinthe bleu. Pourquoi tant de portes et de couloirs ? La moitié, si ce n'est les trois quarts des salles ne sont très probablement pas occupés, le nombre d'élèves aperçus n'étant pas si élevé que ça. Pourquoi je me suis levée ce matin puisque les cours n'ont pas encore recommencés ? Question stupide, je suis tout simplement incapable de faire une grasse-matinée. Il faut que je tue le temps, que je trouve quelque chose à faire. L'exercice quotidien est déjà effectué, bâclé à cause du manque d'énergie. Le soleil qui brille dehors n'est absolument pas propice à une sortie. Solution : trouver un endroit calme pour ruminer encore et encore les mêmes interrogations et pensées dans ma tête pendant des heures jusqu'à ce qu'il soit l'heure d'aller se coucher. Je ferais mieux d'essayer de dormir, ou de faire une « activité calme et relaxante comme de l'origami » suivant les recommandations de Kakuro-san. Si ce genre de trucs marchait dans mon cas, on l'aurait su. Mais j'essayerai au moins une fois, par respect pour elle.
Je finis par traîner mes bottes dans l'aile Ouest. Mon choix s'est porté sur la bibliothèque, pièce calme s'il en est. J'ai vu piailler un bon paquet d'élèves à l'extérieur, il ne devrait pas y avoir grand monde ici. Qui irait s'enfermer dans une pièce supposément silencieuse plutôt que de rester avec ses amis dans un coin plus pratique pour discuter ? Je suis exactement ce genre de personne. Je n'ai pas gardé contact avec les personnes que j'ai rencontré à l'Académie avant le tremblement de terre. Je ne suis pas quelqu'un qui garde contact.
J'ouvre la porte, regarde à l'intérieur et constate que personne ne s'y trouve. Peut-être même que je prendrais un livre, si j'arrive à faire taire mon cerveau. Je cherche un endroit confortable, et mon regard tombe sur une forme à peine mouvante. Damn, je n'ai même pas vu cette fille en entrant, c'est dire l'état dans lequel je me trouve. Je regarde mieux, et regarde la jeune fille se frotter les yeux. Je l'ai probablement réveillée. Ah, je crois que je la connais. Du moins dormait-on dans la même chambre, ou nous avons suivi plusieurs conversations. Que faire ? Les règles de politesse élémentaires me dictent d'aller la saluer, la prier de m'excuser pour l'interruption de sa sieste et lui demander des nouvelles. Je ne suis pas une bonne japonaise, je ne suis pas habituée à agir en fonction des autres. Je veux passer mon chemin sans rien dire, mais je ne peux pas. J'ai promis à Kakuro-san de faire des efforts. Je respire un bon coup, et je me dirige vers la jeune fille qui semble combattre les brumes du sommeil.
« Bonjour, j'espère que je ne te dérange pas. Comment vas-tu ? »
J'aurais pu avoir l'air plus guindée. J'ai dix-huit ans, mais en réalité j'en ai soixante. Je ne suis définitivement pas faite pour les interactions sociales avec les moins de quarante ans.